- ANGEVIN (EMPIRE)
- ANGEVIN (EMPIRE)De 1154 au début du XIIIe siècle, sous l’égide des rois d’Angleterre issus de la maison d’Anjou, un «empire», fait en réalité de la juxtaposition de terres de pleine souveraineté et de fiefs tenus de princes étrangers, paraît dominer l’ouest de l’Europe. Ce Channel State est aussi remarquable par sa puissance d’un moment que par la relative rapidité de son érosion.Des origines à l’épanouissementAu lendemain de la mort de Guillaume le Conquérant, l’Angleterre entre dans l’ère des affrontements dynastiques et, avec elle, les fiefs continentaux auxquels ne renoncent ni ses rois ni leurs barons. Les Capétiens jugent habile de diviser les forces de leurs redoutables vassaux. Louis VI, après 1135, promet le duché normand à plusieurs prétendants avant que Louis VII en reconnaisse, en 1149, la possession à Geoffroi Plantagenêt, qui s’en était emparé cinq ans plus tôt: mais, la maison d’Anjou ainsi renforcée, un bloc considérable se forme en 1154 quand Henri, fils de Geoffroi, petit-fils par sa mère, Mathilde, de Henri Ier, monte sur le trône d’Angleterre. Époux depuis 1152 de la duchesse Aliénor d’Aquitaine, il se trouve à la tête d’un véritable empire qui menace de son hégémonie le royaume de France. Celui-ci bénéficie du miracle de l’affaiblissement rapide, en un demi-siècle, d’un rival qu’il contribue d’ailleurs de son mieux à réduire. Le premier souverain Plantagenêt, Henri II, a régné trente-cinq ans et il a tenté la gageure de vouloir centraliser le gouvernement de ses possessions. L’amalgame des principaux serviteurs de la couronne (les chanceliers Thomas Becket, Raoul Wanneville, cauchois et normand, les justiciers Guillaume Fitz Raoul, Richard de Lucé et Gautier Map, tous normands, le trésorier Richard d’Ilchester, anglais) témoigne de ce désir tout comme l’identité des politiques administratives dans les diverses possessions angevines: le système judiciaire anglais copié en Normandie, les responsabilités des shérifs en Angleterre rendues semblables à celle des baillis normands. Une cour hétéroclite de plus de deux mille fidèles en 1077 est le vivier d’inspecteurs envoyés en chevauchée comme de conseillers épisodiques. Même l’armée se diversifie en employant des mercenaires aragonais, auvergnats, bigourdans. En fait, l’entretien d’un domaine immense qui, sur le continent, correspond à une moitié de la France, de Rouen à Bayonne, de la Somme aux basses Pyrénées, impose un énorme effort militaire et de lourdes dépenses de déplacement ou de solde en garnisons à opposer à l’ennemi capétien ou breton. Henri II paye aussi le prix de la puissance, verse des aides à ses alliés de Flandre ou d’Allemagne, participe aux frais des croisades, répond aux appels financiers de la papauté.Les craquements sont inévitables. Ils sont faits de révoltes de grands vassaux. Ils deviennent plus évidents à partir de 1173. Les fils du roi, Henri le Jeune, Richard, Geoffroi (mais non Jean, alors âgé de huit ans), prennent les armes avec l’assentiment de leur mère, Aliénor, gagnent l’appui du roi de France, Louis VII, font régner le désordre en Gascogne, en Anjou, en Normandie, en Bretagne, encouragent par leurs actes une invasion de la Normandie par Louis VII, associé aux comtes de Flandre et de Boulogne. Les troubles gagnent l’Angleterre, où les comtes de Chester, de Norfolk et de Leicester guerroient contre le justicier Robert de Lucé, et se prolongent par une nouvelle guerre écossaise. La paix générale sur le continent n’est restaurée qu’après de pénibles batailles par la paix de Montlouis (septembre 1174) et par un pardon généreux aux fils rebelles. L’année suivante s’achèvent également des conflits britanniques, après la capture ou la soumission des révoltés ainsi que celle du roi d’Écosse qui, en décembre 1174, est même obligé de se reconnaître le vassal de son cousin anglais.Ce n’est qu’un sursis. Les années 1180 acculent le roi vieillissant à de nouvelles luttes; le prince héritier Richard, depuis la mort de Henri le Jeune en 1183, intrigue avec le jeune roi de France, Philippe Auguste; même Jean sans Terre trahit son père. Henri II subit maintes défaites avant de mourir en 1189, à Chinon, dans les bras d’un fils redevenu fidèle, Geoffroi.L’empire angevin a pourtant survécu. Mais Richard Cœur de Lion hérite aussi des difficultés anciennes. Après son départ pour la croisade, son royaume est confié à Jean, qui lui est peu fidèle; il revient en 1194 pour reprendre en main ses possessions. Des dépenses énormes sont alors engagées pour résister aux ambitions françaises; on construit l’«imprenable» forteresse de Château-Gaillard, aux Andelys, sur la Seine, pour couvrir la Normandie (1196). Partout, ce ne sont que révoltes sporadiques, de l’ouest au sud, et c’est dans le Limousin que Richard est mortellement blessé le 6 avril 1199.Effondrement et survivancesÀ partir de là, malgré les efforts de Jean sans Terre, l’effondrement est rapide. Philippe Auguste se sert de la force, mais aussi du droit féodal pour prononcer la commise des fiefs tenus du roi de France: entre 1202 et 1206, toutes les possessions continentales, sauf l’Aquitaine, sont ainsi reprises, et le roi de France exige en 1205 des barons anglo-normands qu’ils choisissent entre leur royaume et leurs fiefs continentaux. La bataille de Bouvines du 27 juillet 1214 consacre la fin des efforts anglais, avec l’assistance de la Flandre et de l’Empire germanique, pour remettre en question les évolutions antérieures. Pire: le roi de France, prétendant épouser la cause du pape Innocent III, se propose d’envahir l’Angleterre et force pratiquement Jean à se jeter dans la vassalité du Saint-Siège pour échapper à un difficile destin. Ce qui n’empêche pas un débarquement français, l’entrée à Londres du prince Louis (le futur Louis VIII) à la tête de mille deux cents chevaliers, et sa revendication du trône: la mort de Jean, le 19 octobre 1216, et la fidélité de grands vassaux et de l’Église à son fils Henri III écartent le risque paradoxal d’un empire anglo-français sous domination capétienne.L’empire angevin, lui, est mort, sauf dans les esprits. Henri III, devenu maître réel du pouvoir à vingt-cinq ans, en 1232, est très sensible à l’influence d’un «parti français» à sa cour, sous la protection de la reine Aliénor de Provence, et il cherche vainement les moyens de reconquérir les territoires perdus. Il doit finalement souscrire en 1259 au traité de Paris, obtenant de Saint Louis la seule reconnaissance de ses possessions de Guyenne et des diocèses de Limoges, de Périgueux et de Cahors.L’heure n’était manifestement pas aux grands ensembles artificiellement réunis, sans que même la suzeraineté féodale ni le lien d’une autorité monarchique unique viennent les cimenter. La valeur des souverains angevins a été moins en question que la démesure des moyens qu’il leur aurait fallu mettre en œuvre pour préserver leurs possessions. Surtout, en cherchant à obtenir ces moyens en Angleterre, ils ont précipité l’émergence d’oppositions puissantes: celle de l’Église, qu’incarne un temps Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry à partir de 1162, jusqu’à son assassinat en 1170; celle des grands vassaux, au nombre desquels des prélats et des abbés, révoltés aussi bien par l’exigence de services armés trop fréquents et trop lointains que par les compensations en argent qui leur sont demandées lorsqu’ils se dérobent. Dans une large mesure, la rébellion déclenchée par les comtes de Chester, de Leicester et de Norfolk en 1214 est née de cette protestation et elle conduit, le 15 juin 1215, à la signature de la Grande Charte, qui entend consacrer le droit des barons à consentir au préalable les aides sollicitées par le roi: ils espèrent bien ne pas se soumettre au service d’ost hors de l’Angleterre. Et ce refus est réitéré en 1242. Privé du soutien de sa féodalité, le roi pouvait certes recourir à des mercenaires, mais le cycle des dépenses à engager devenait alors infernal.Le «rêve français» des rois d’Angleterre n’est pas mort, et on le verra renaître au temps de la guerre de Cent Ans. Le précédent de l’échec de l’empire angevin ne servit pas de leçon aux successeurs de Jean sans Terre et de Henri III qui commirent les mêmes erreurs et constatèrent qu’elles suscitaient les mêmes obstacles et aboutissaient aux mêmes échecs!
Encyclopédie Universelle. 2012.